Le mercredi 9 avril se tenait au CNC la présentation du rapport de l’Observatoire Européen de l’Audiovisuel « Défis juridiques et dynamiques de marché dans le secteur des jeux vidéo », accompagnée de prises de paroles de différentes parties prenantes du CNC, du SELL, de la Spielfabrique, de Nacon, et de Oldskull Game.  

L’industrie du jeu vidéo en Europe joue un rôle clé sur le plan économique et culturel, mais elle fait face à des défis complexes concernant son financement et son développement. Avec un marché européen estimé à 19 milliards d’euros, le secteur représente une puissance économique notable, mais sa croissance reste freinée par des obstacles structurels et stratégiques.

État actuel et défis majeurs

  1. Structure du marché : L’Europe compte environ 5300 studios de jeux vidéo, principalement concentrés en Suède (900), en Allemagne et en France, tandis que des acteurs émergents comme l’Espagne et la Roumanie montrent un potentiel croissant. Malgré cette diversité, le continent souffre de fragmentation au niveau des dispositifs d’aide et d’accès aux financements. Cela limite l’émergence de grands acteurs capables de rivaliser avec leurs homologues américains ou asiatiques.
  2. Manque d’accès aux financements compétitifs : Le financement privé reste un défi majeur, notamment par rapport aux modèles centralisés de capital-risque (VC) chinois ou américains. En outre, les aides européennes, bien qu’importantes, sont souvent complexes et peu accessibles.
  3. Formation et compétences : Si les écoles européennes forment d’excellents professionnels en créatif et en technologie, elles n’encouragent pas suffisamment l’entrepreneuriat. Cette lacune freine la création de studios solides et indépendants.

Un engagement accru des institutions européennes

Les principaux organes de l’Union Européenne ont progressivement pris conscience de l’importance du secteur et se sont engagés à le soutenir.

  • La Commission Européenne : En 2022, elle a mis en place un plan d’action pour les médias et l’audiovisuel, visant notamment à faciliter l’accès aux financements pour l’innovation et la recherche. Dix ateliers intitulés Understanding the Value of Videogames in Society ont été organisés, réunissant des professionnels pour analyser l’impact des jeux vidéo sur la société. Une étude approfondie sur les impacts économiques et sociétaux est prévue pour 2023.
  • Le Conseil de l’Union Européenne : Dès 2022, les jeux vidéo ont été reconnus comme des actifs culturels stratégiques. Cette reconnaissance a conduit à leur intégration dans les priorités de travail pour la période 2023-2026. Le Conseil met notamment l’accent sur l’attraction et la rétention des talents, les droits des consommateurs et le soutien aux petites et moyennes entreprises (PME). Au niveau inter-ministériel, il a été proposé d’intégrer davantage la dimension culturelle des jeux vidéo dans les politiques publiques.
  • Le Parlement Européen : Certains parlementaires, comme Laurence Farreng en 2022, ont plaidé pour la création d’un Office Européen des Jeux Vidéo (OEJV). Un rapport a également exploré les aspects liés aux droits des consommateurs et au développement du secteur, et l’idée d’un Prix Européen des Jeux Vidéo a été évoquée.

Défis et priorités à venir

Les institutions européennes reconnaissent deux grands axes stratégiques :

  1. Le poids économique du secteur, qui représente une industrie majeure en Europe.
  2. Son rôle en tant qu’industrie culturelle et créative, apportant une contribution unique à la richesse culturelle du continent.

Par ailleurs, des défis concrets demeurent :

  • Protection des consommateurs : L’encadrement des pratiques liées aux jeux vidéo va prendre de l’ampleur. En 2026, l’Union Européenne prévoit d’adopter le Digital Fairness Act, un texte visant à réguler les questions d’addiction, de comportements d’achat et de jeu, et les mécanismes controversés comme les coffres au trésor. Une consultation publique est d’ailleurs prévue pour mai 2025.
  • Innovation et financement : La Commission publiera un rapport intitulé Creative Europe and Media Outlook, offrant une analyse stratégique pour renforcer l’accès au financement et promouvoir l’innovation dans le secteur.

Europe Creative joue un rôle essentiel dans le soutien au secteur du jeu vidéo en Europe en favorisant l’innovation, la créativité et l’accès au financement. Le programme aide les studios indépendants et les PME à accéder à des financements privés, tout en mettant l’accent sur la diversification des modèles économiques. Il vise également à promouvoir les jeux vidéo comme un pilier culturel stratégique et un moteur de croissance économique à l’échelle européenne.

Une industrie à fort potentiel, mais fragmentée

Malgré son dynamisme, le secteur européen du jeu vidéo reste marqué par une fragmentation des dispositifs d’aide et un manque d’unification au niveau macroéconomique. Le marché européen du jeu vidéo affiche cependant des indicateurs robustes :

  • Les achats intégrés représentent 42% des revenus européens, soulignant leur rôle croissant dans les modèles économiques des jeux.
  • En France, 53% du chiffre d’affaires du secteur est lié à la digitalisation, montrant l’importance des innovations technologiques.
  • Actuellement, côté studio, il devient impératif d’être meilleur, être bon n’est plus suffisant. De fait, l’amélioration de l’efficacité notamment des coûts fixes est essentielle. Cette phase traduit un processus de maturation industrielle nécessaire.

Malgré son dynamisme, l’industrie du jeu vidéo européenne peine à faire émerger des leaders capables de rivaliser avec les géants mondiaux. Parmi les principaux obstacles :

  • Fragmentation des dispositifs d’aide : Leur variabilité géographique limite la compétitivité du secteur et l’accès à des financements cohérents.
  • Manque de financements compétitifs : Comparés aux systèmes de capital-risque américain ou chinois, les financements européens souffrent de lourdeurs institutionnelles et de contraintes d’accès. L’absence d’un fonds souverain européen dédié a été évoquée, au regard des autres superpuissances.
  • Lacunes dans la formation entrepreneuriale : Si les écoles européennes forment des professionnels techniques et créatifs de qualité, elles négligent les compétences entrepreneuriales nécessaires à la croissance des studios, mettant à risque la viabilité des entreprises porteuses des jeux vidéo.
  • Relation difficile avec les joueurs : La plateformisation rend complexe le lien direct entre les studios et les communautés de joueurs, ce qui pourrait nuire à la pérennité de l’engagement du public. A date, les éditeurs sont de plus en plus concurrencés par les plateformes qui agissent en « boite noire » et rendent difficile la connaissance des pratiques.

Face à ces défis, plusieurs initiatives européennes offrent des perspectives positives :

  • Formation et innovation : Des programmes comme Skill for Talents ou Erasmus+ favorisent la montée en compétences, le développement de nouveaux outils et l’exploration de modèles économiques novateurs.
  • Financement institutionnel : Le programme Media Invest, doté de 400 millions d’euros, stimule les investissements privés auprès des institutions pour soutenir les projets innovants.

Pour renforcer l’industrie, il est crucial de la reconnaître comme un secteur à part entière. Cela implique :

  • La création d’un levier macroéconomique européen, tel qu’un fonds souverain dédié.
  • Une gestion plus sélective des fonds publics afin de concentrer les investissements.
  • Réenchanter le jeu vidéo grâce à une meilleure éducation à l’image et un dialogue renoué avec les spectateurs et joueurs.
  • Faire face aux questions éthiques, notamment le droit de regard sur la fabrication des œuvres.

 

En conclusion :  Une chance à saisir pour l’Europe

Le jeu vidéo représente une opportunité unique pour l’Europe. Il combine croissance économique, innovation technologique et rayonnement culturel. Toutefois, pour véritablement en tirer parti, il est impératif d’accroître la coopération entre les États membres, de clarifier les cadres financiers, et de garantir une régulation équilibrée, respectueuse des consommateurs comme des créateurs.

En faisant preuve d’audace et d’ambition, l’Europe pourrait non seulement consolider sa position sur la scène mondiale, mais aussi offrir une identité unique et éthique à ses jeux vidéo. Un défi de taille, mais aussi une promesse pour l’avenir de l’industrie.

 

Liens vers le rapport de l’Observatoire Européen de l’Audiovisuel

Liens vers l’événement au CNC

 

   

Déroulé de la matinée :

Introduction Pauline Augrain, directrice du numérique, CNC

Restitution du rapport : « Défis juridiques et dynamiques de marché dans le secteur des jeux vidéo » Par Sophie Valais, responsable adjointe du Département Informations juridiques de l’Observatoire européen de l’audiovisuel

La reconnaissance institutionnelle européenne progressive du Jeu vidéo
Par Aurélie Champagne, directrice adjointe financière et juridique, CNC

Table Ronde : Quelles stratégies européennes pour répondre aux mutations du secteur ?
Intervenant(e)s :

  • Thierry Baujard, co-fondateur, SpielFabrique
  • Bernoit Clerc, directeur éditorial, Nacon
  • Hervé Sohm, directeur général délégué, Old Skull Games
  • Nicolas Vignoles, délégué général, SELL
  • Chiara Zappalà, chargée de mission, Europe Créative – MEDIA

Modération : Loïse Lyonnet, co-autrice du rapport de l’observatoire européen de l’audiovisuel

Clôture
Par Gaëtan Bruel, président du CNC