Le 20 mai 2025 s’est tenu le Policy Summit à Nordic Game. Trois sessions se sont succédé durant une journée riche en présentation, échanges et débats. Voici en synthèse les points qui ont attiré notre attention.
Le problème de la visibilité.
Plusieurs interventions et prises de paroles ont mis en avant la difficulté de rendre visible les productions, noyées dans la masse des sorties, avec des stratégies éditoriales traditionnelles qui performant de moins en moins, et l’avènement de nouvelles manières de rendre public un jeu, moteur de recherche, réseaux sociaux, recherche via IA.
Cette question de la visibilité est liée à la fin des systèmes classiques de publicisation: l’affaiblissement majeur du poids des revues spécialisées et l’augmentation massive du rôle des influenceurs a changé la manière de communiquer. A cela s’ajoute le poids des reviews d’utilisateurs, agrégées en metacritics – nous avions analysé l’impact du review bombing.
Le passage du moteur de recherche vers l’IA est aussi un point stratégique, car les différentes IA se nourrissent des réseaux sociaux, mais aussi de la manière dont sont rédigées les fiches des jeux – laissant aux studios et éditeurs une petite marge de manoeuvre. Là aussi, les guerres culturelles sur les réseaux sociaux ne sont pas anecdotiques et alimentent les IA.
Vers un rôle croissant du public pour les studios
La place des différentes initiatives régionales, notamment les fonds et les incubateurs qui se développent à un stade plus ou moins avancé – voir le rapport de l’observatoire européen de l’audiovisuel sur le sujet – traduit avant une approche du jeu vidéo en termes de produit culturel et donc d’œuvre de création. La politique culturelle de la création n’est pas forcément celle de l’offre de biens, car il manque à date la mise sur le marché : comment rendre publics ces jeux, et qu’ils trouvent leur audience.
Sans se substituer aux éditeurs privés et aux plateformes, il serait intéressant de réfléchir aux modalités de publicisation : de la publication à la communication pour que les auteurs trouvent leurs joueurs, et stabiliser un écosystème indépendant qui quoique très talentueux peine à trouver un équilibre commercial.
La data : la grande absente
Pour parvenir à une stratégie d’offre culturelle efficiente, une analyse du marché semble nécessaire, et tout particulièrement des données chiffrées accessibles et fiables. A date, et à l’inverse des autres industries culturelles qui multiplient les études pour le secteur afin de rationaliser les investissements, le monde du jeu vidéo souffre d’un dispositif public de collecte des données. C’est assez paradoxal, car les chiffres existent sur les plateformes mobiles, consoles ou PC, mais ne sont pas transmises faute d’un dispositif de collecte – souvent associé à une taxe pour les autres industries. Cette absence a pour impact de rendre difficilement lisible le marché pour les différentes catégories de financeurs.
Transferts et effets
Les conversations se sont poursuivies sur les nouvelles manières d’appréhender le jeu vidéo, que ce soit pour la simulation ou le serious game. Un débat a même eu lieu sur ce dernier terme qu’il faudrait abandonner pour “jeux appliqués”. Les projets de recherche, de l’éducation à l’industrie, sont des points importants dans le passage entre du jeu vidéo de divertissement et du jeu vidéo applicatif. C’est aussi une opportunité pour le transfert des techniques du jeu vidéo pour les autres industries. Les moteurs de 3D temps réel modifient largement la formation, la simulation, mais aussi l’animation.
La gamification des années 2010 avait importé les techniques de behavioral design, ce point a été abordé au sujet des dark patterns, ces techniques implicites qui incitent à dépenser de l’argent. Ceux-ci restent un sujet majeur pour la confiance des consommateurs et la protection des plus jeunes et des plus fragiles. Ce point laissé flottant, couplé aux levées de boucliers que nous pouvons observer en Europe à l’encontre des écrans pour les moins de 15 ans, est une bombe à retardement pour l’industrie.
Dernières données européennes
Ce sommet accueilli par Nordic Games a été complété par une présentation en avant première de l’étude bi-annuelle de la Commission Européenne. Dressant un panorama des pratiques du jeu vidéo, elle offre des chiffres très intéressants :
- 279,8 millions d’Européens sont des joueurs (soit 75%), dont 53% jouent toutes les semaines ; le mobile domine (192m), puis console (132m) et pc (126m). Côté non joueurs : un tiers n’ont même pas eu l’idée de jouer
- en terme de compétence, l’Europe, le UK sont au coude à coude, devant les USA
- l’investissement américain dans le gaming entre 2020 et 2024 atteint 12,2 milliard, contre 3,6 pour l’Europe et 1,8 pour le UK et 1,06 pour la Corée du Sud, 0.28 pour le Japon
Le marché du jeu vidéo est en pleine reconfiguration, l’écosystème indépendant largement présent à Malmö est affecté, que ce soit pour les commandes, les prestations ou la rencontre des éditeurs, rendant le rôle des politiques publiques de soutien déterminant en période de tumulte.
Site du Games Policy Summit de Nordic Game :